Certains me qualifient certes d’inventeur,
et ceci est justifié par le fait que j’ai été pendant un certain temps – à l’instar
de Nikola Tesla – l’un des ingénieurs de Thomas Edison, et que j’ai aussi conçu
plusieurs modèles de voitures. Mais je suis surtout un gestionnaire dans la
mesure où mon succès vient en grande majorité d’une méthode de gestion que vous
connaissez sûrement : le fordisme. Alors qu’est-ce que le fordisme ?
Le fordisme dans un premier temps c’est la division du travail.
Prenez un inventeur trop pauvre
qui ne peut se permettre de payer des assistants, et qui va alors concevoir
lui-même ses inventions, puis les réaliser par la seule force de sa technicité :
il va devoir apprendre à faire des alliages de métaux et à découper des plaques
de métal, à faire des soudures pour assembler des pièces, à raccorder des fils
et à vérifier des plans électriques, etc. Voyez-vous, cela lui prendra des
années avant d’aboutir à quelque chose de stable… Maintenant, prenons ce même
inventeur mais accompagné d’un ingénieur, ils vont faire une répartition des
tâches : l’inventeur sera chargé de penser, tandis que l’ingénieur mettra
la main à la pâte ! Nous pouvons, dans ce second cas de figure, commencer
à avoir des résultats plus rapides. C’est ce qu’on appelle une « division
verticale du travail ».
Mais poussons la chose un peu
plus loin : notre ingénieur va exiger à son patron l’inventeur de lui
fournir dix employés subalternes pour faire le travail à sa place, lui se
contentera de superviser l’ensemble. Il s’installe donc une division
horizontale du travail, où chaque employé se spécialisera dans son domaine
précis : l’un deviendra un métallurgiste chevronné, il ne saura faire que
ça, mais il le fera avec professionnalisme ; l’autre deviendra électricien
hors pair, il ne saura faire que ça, mais il le fera mieux que quiconque.
Naîtra alors une ligne de montage avec des employés travaillant à la chaîne et
se spécialisant dans leur domaine de prédilection. Oh mais ce n’est pas encore
fini… Peut-être que l’électricien commence à se fatiguer de devoir tout faire,
il va dans ce cas subdiviser son travail en cinquante ou cent petites tâches qu’il
pourra confier à des personnes n’ayant jamais touché à un vulgaire fusible. Untel
tournera une vis, c’est facile ; untel branchera un fil, c’est facile
aussi ; untel actionnera une manivelle, c’est la chose la plus facile au
monde, etc. Supprimez toute nécessité de réflexion des ouvriers, supprimez
toute nécessité de déploiement artistique, en adoptant une standardisation des
pièces, c’est-à-dire qu’elles auront toutes la même taille, la même couleur,
suivant les mêmes normes… et cela vous permettra d’économiser des heures et des
heures de réflexion ou d’inspiration. C’est ainsi que j’ai pu recruter des paysannes
illettrées pour construire des voitures complexes ! Au final, rien n’est difficile si vous le subdivisez
en petites tâches. Alors comment pouvez-vous appliquer cela dans votre vie
de tous les jours ? C’est simple : face à une montagne de travail, il
suffit de le découper en petites tâches que vous accomplirez un à un, ou que
vous délèguerez à d’autres.
Mais le fordisme, ce n’est pas
seulement une banale division du travail, ça c’est ce qui peut être compté. Mais
les deux choses les plus importantes n’apparaissent
pas au bilan de l’entreprise : sa réputation et ses hommes. Vous avez
peut-être entendu dire qu’un client satisfait en parle à deux, tandis qu’un
client insatisfait en parle à dix. Mais vous avez aussi entendu dire que le
premier client de l’entreprise c’est l’employé ! Cela signifie que si vos
employés sont fiers et contents de travailler pour vous, ils feront votre
publicité tout naturellement, et ils achèteront même vos produits ! Qu’est-ce
que j’ai fait ? J’ai augmenté le salaire de mes employés. Selon leur
productivité, bien sûr, car la démocratie
dont je suis partisan, c’est celle qui donne à tous les mêmes chances de
réussite, et ensuite à chacun selon sa capacité. Et ma stratégie a
fonctionné grâce à ce système méritoire qui a augmenté le rendement de l’entreprise
parallèlement au salaire des ouvriers, ce qui leur a permis d’acheter eux-mêmes
les voitures Ford ! Mes employés étaient mes premiers clients…
Alors effectivement, je n’ai pas
appliqué ces deux principes depuis le début, ce n’est pas comme si j’étais né
avec des capacités managériales de gagnant… non. J’ai passé beaucoup de temps à
travailler pour réaliser les rêves des autres – entre autres de Edison, vous l’aurez
compris – mais j’ai aussi parcouru plusieurs échecs ne serait-ce que mes deux
précédentes entreprises qui n’ont pas survécu. Et c’est là, justement, qu’il
faut se répéter ceci : échouer c’est
avoir la possibilité de recommencer de manière plus intelligente, donc se
relever après chaque chute sans toutefois pas perdre son enthousiasme car l’enthousiasme est à la base de tout progrès.
Cette confiance en soi doit se cultiver au quotidien, au point que les mots « je
ne peux pas » finissent par disparaître de notre champ lexical, pour être
remplacés par d’inébranlables « je peux ». En somme, le monde n’est
divisé qu’en deux catégories : il y
a des gens qui disent qu’ils peuvent, et d’autres qui disent qu’ils ne peuvent
pas. En général, ils ont tous raison.